Toro y torero

Jacques Teissier, aumonier des arènes

Jacques Teissier, aumônier des arènes Nous avons rencontré Jacques Teissier qui est aumônier des arènes de Nîmes depuis 30 ans. C’est aussi un aficionado qui pratique la tauromachie en se mettant de temps en temps devant des petites vaches ou anoubles à l’âge de 79 ans. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la tauromachie. Le dernier est paru aux éditions du diable Vauvert dirigées par Marion Mazauric. Il s’appelle La corrida, effraction salutaire. Ce livre dépasse le simple cadre de l’aficion et du monde de la tauromachie. Il est une réflexion et une interrogation humaniste sur nos propres valeurs, notre rapport à la vie, à la mort, à l’animalité, à la spiritualité, aux sens de nos actes que nous tenons pour évidents. Il montre que la corrida est une effraction car c’est, sur tous ces points, une contestation de certaines évidences véhiculées par la société moderne. Une effraction salutaire car ces évidences ne sont pas aussi innocentes qu’on pourrait le croire. Ainsi, ce que donne à voir et à ressentir la corrida touche quelque chose de profond au cœur de l’Homme du XXIe siècle. Pourquoi l’homme affronte-t-il encore au XXIe siècle cet animal, le taureau, qui peut lui ôter la vie ? Pourquoi cet acte est-il encore aujourd’hui porteur de sens ? Quelle vérité cela lui apprend-il sur lui-même ? Face au danger et à la mort, il n’y a plus moyen de mentir, l’authentique courage apparaît. L’homme dépasse sa peur, il utilise l’étoffe (cape et muleta) et sa technique (la lidia ) pour canaliser la violence brute du taureau et la mettre en forme. De cette mise en forme, l’homme fait naître de l’art (ce qui est le propre de l’homme). Il fait une faena , c’est-à-dire qu’au risque de sa vie, il canalise la charge du taureau pour en faire quelque chose d’esthétique et d’artistique. Jacques TEISSIER s’interroge également sur une réalité encore plus profonde : pourquoi le spectateur va-t-il encore aux arènes ? Pour voir selon lui apparaitre ce qu’est le duende, cet instant de grâce où le mouvement du taureau et du torero s’accordent parfaitement et où l’inspiration survient. C’est un moment où : « le mystère se laisse percevoir mais il reste insaisissable, comme pour nous faire goûter à quelque au-delà, à un ailleurs indéfinissable, qui nous habite et nous dépasse à la fois. » Ce livre fait preuve également d’une grande honnêteté intellectuelle car il s’interroge sur le bien fondé des arguments des animalistes et reconnait que la problématique du bien-être animal mérite d’être considérée notamment en ce qui concerne les conditions d’élevage et de transport. Il montre également d’où vient la dérive animaliste : le mode de vie de l’homme moderne est essentiellement urbain, il a perdu le contact avec le monde rural. L’animal de compagnie que l’on côtoie n’a ni le même mode vie ni la même relation à l’Homme que l’animal sauvage. Le taureau de combat n’est pas cet animal de compagnie humanisé à outrance mais un animal sauvage qui a l’instinct du combat pour défendre son territoire. L’animal peut avoir certains droits – ou plutôt,, l’Homme a certainement des devoirs envers lui – mais il ne peut être mis à la même place que l’Homme. Ce livre est donc un humanisme, il nous fait toucher ce qui fait de l’Homme un humain. Bonjour Jacques. Depuis quand es-tu aumônier des arènes de Nîmes ? Dans quelles circonstances l’es-tu devenu ? J’y suis depuis la temporada de 1988. Je suis revenu de Paris à la rentrée scolaire de 1987. C’est Adrien Gauttier un laïc, banderillero à son époque, qui avait fait créer la chapelle dans les arènes de Nîmes. Il en était le sacristain mais n’arrivait plus à s’en occuper, je l’ai donc remplacé. Je devins donc aumônier-sacristain. L’aumônier des arènes à l’époque était Maurice Archet. Comme, plus tard, celui-ci a eu également des problèmes de santé, je lui ai succédé. Avant d’être aumônier tu avais cette passion, tu étais aficionado… J’ai vu ma première corrida en 1948 à l’époque de Carlos Arruza. Je l’avais rencontré au Cercle taurin nîmois où mes parents étaient adhérents. Est-ce que Nîmes est la seule arène dans laquelle tu officies ? Au départ oui, mais j’ai remplacé occasionnellement à Arles l’aumônier qui n’était pas libre. A Istres, Bernard Marsella m’a demandé de venir aider l’aumônier local qui n’était pas connaisseur des toreros et du milieu taurin. Comme ensuite il a changé de paroisse, j’ai pris la succession. Je vais également à Carcassonne et à Rieumes. A Céret, je paie ma place mais je vais au patio de caballo accueillir les matadors à la chapelle. Il en est de même à Alès. Mais pas à Saint-Martin-de-Crau, je ne sais pas pourquoi. Jacques tu es donc en contact avec les matadors dans un moment qui est toujours difficile pour eux. Au moment où tu les rencontres, ils s’apprêtent à entrer en piste. Dans ces instants, la peur et la pression sont souvent à leur paroxysme. Comment appréhendes-tu cet instant ? Effectivement ils ont beaucoup de pression mais ils cherchent à la masquer. Ils ont des attitudes très différentes. Sébastien Castella par exemple est fermé, il ne regarde rien ni personne. Il traverse le vestibule de la chapelle et ne dit rien. Il signe le livre d’or, me met la main sur le bras et reste dans sa concentration. Pour d’autres, c’est la rigolade, ils racontent des histoires pour détendre l’atmosphère. Mendès à l’époque où il toréait beaucoup, arrivait en septembre l’air fatigué. Je lui demandais comment il allait. Il me répondait dans un français qu’il parle très bien : «Les toros eux, ils sont toujours en forme ! » Enrique Ponce arrive toujours très détendu extérieurement, souriant. El Juli également. J’essaie de les accueillir en tant que personne et non en tant que torero important qui est dans un moment de pression. Je ne laisse rentrer personne dans ces moments là à la chapelle car c’est aussi pour eux un moyen de s’isoler. Tu as écris un livre je crois sur toutes ces anecdotes qui s’appelle l’abbé des toreros. C’est un livre interview fait par Pierre Vidal. Il m’a enregistré pendant une journée entière. J’avais posé comme condition de ne pas changer mes mots ni mes tournures de phrases dans la retranscription, ce qu’il a parfaitement fait. Il m’a fait également parler sur la laïcité. Je lui ai dit que c’était un grand bienfait et qu’il ne fallait pas que les religieux s’occupent d’affaires publiques. Cela m’a valu une grosse côte auprès d’un journaliste de la Dépêche qui était très anti-clérical. Il a fait un article qui recommande ce livre. Il y a de l’humour dans les choses… Y-a-t-il une anecdote qui t’a marqué et que tu peux nous raconter. A Istres, Morante arrive et il va directement à la chapelle. Il demande si quelqu’un a un briquet. Je pensais que c’était pour allumer un luminion. Il tourne le dos à l’autel et allume un gros cigare. Je me dis intérieurement qu’il était un peu sans gêne. Cela me fit penser à la chanson de Gainsbourg Dieu est un fumeur de havane, ce qui rendit la situation comique. A Saint-Gilles, je raconte cette histoire à Maria Domecq qui le connait bien. Elle me dit : « Morante ne fume que dans les lieux sacrés : les chapelles et les arènes. » Un peu d’humour… Il y a aussi une anecdote avec Curro Romero à la chapelle avant d’entrer en piste. Celui qui s’occupait des corrales, arrive avec un verre ambré qui ressemblait à du muscat… Il le donne à Curro Romero. Il le boit à petites gorgées et il lance à la cantonnade : « il ne faut pas que je sois borrachito ! »(pompette, saoul). Il pose le verre sur le coin de la table et va au paseo. Je raconte cette histoire à Guy Raucoule, le grand-père de Rafi qui me dit que certains paieraient cher pour avoir ce verre. A la fin de la course je l’ai donné à un aficionado qui était un grand admirateur du maestro. A cette occasion, j’ai demandé au maestro s’il avait une vieille muleta. Il me demanda si je toréais, je lui dis occasionnellement. Deux ans après son valet d’épée Gonzalito me remit la muleta de Curro Romero après sa deuxième faena. La corrida est une véritable passion pour toi mais aussi un sujet de réflexion. Peux-tu nous parler de la démarche qui t’a conduit à écrire ton dernier livre La corrida effraction salutaire. Quelles valeurs la corrida véhiculent-elles selon toi et en quoi la corrida est-elle une effraction salutaire ? J’ai essayé de mettre des mots sur ma passion et sur ce qui se passe en piste, sur ce qu’on ressent. C’est un travail difficile. Je l’ai fait car le Cercle taurin nîmois m’avait demandé une conférence sur le sujet de la corrida. La corrida parle de la mort, de la violence, du courage, de l’inspiration. Ce livre n’est pas une justification de la corrida ni une tentative de répondre aux arguments de ceux qui en sont les opposants. C’est un essai qui tente d’exprimer et de comprendre ce que met en scène et nous fait vivre la corrida, Il est composé de deux parties : la première partie se nomme la corrida combattue. C’est une réflexion sur le traitement des animaux et sur leur place dans notre société. La seconde s’appelle la corrida combattante. Elle est une réflexion sur la mort que la société s’évertue à cacher. C’est en ce sens que la corrida fait effraction : la corrida ne cache pas la mort mais nous la projette à la figure. C’est en ce sens qu’elle est salutaire. La corrida montre aussi qu’il ne faut pas opposer à la violence du taureau, une autre violence. Il faut être calme, montrer de la douceur dans les gestes, avoir du temple pour s’accorder avec lui. La corrida est aussi une mise en scène du courage et de la prise de risques dans une société qui voudrait une vie sans risque. Il n’y a pas de vie sans risque, il faut l’accepter. Si tu ne prends pas de risques, tu ne t’engages dans rien. Prendre le risque de faire quelque chose, c’est accepter l’incertitude, voire l’échec, mais aussi apprendre à espérer. La vie, c’est comme la marche : c’est une chute rattrapée en permanence. C’est ce que montre la corrida. Pour moi, tout cela est profondément humain et de nature spirituelle. Dans la corrida, il y a également l’inspiration, le duende, l’ange qui vous tombe dessus. On peut se préparer à l’inspiration, on n’en maîtrise pas la venue. Ceci est aussi de nature spirituelle : « le vent souffle où il veut, tu ne sais d’où il vient ni où il va.» Les moments forts de la vie, on ne les maîtrise pas, on les accueille ou pas, on se laisse habiter ou pas. La tauromachie dit ça… J’essaie de décoder pourquoi ça nous touche tant. On voit que tu connais bien la tauromachie. Mais tu la pratiques aussi. En quoi cette pratique a changé ta vision de la corrida et qu’est-ce que ça t’a apporté de la pratiquer ? J’ai toujours eu peur du toro, dans les villages, dans les ferrades. Quand je suis revenu de Paris, je m’entrainais avec Pépé de Montijo tous les vendredis, puis je faisais quelques passes à sa fiesta campera. Puis je me suis inscrit avec les practicos et j’ai suivi des cours avec Denis Loré. Cela m’a fait progresser. Maintenant je vois beaucoup de petits détails que je ne voyais pas et qui font la différence. Par exemple on s’aperçoit comment le torero rectifie la trajectoire imprévue du toro qui vient sur lui par un mouvement du pico (la partie extérieure de la muleta). Il touche l’œil contraire au bon moment et dévie ainsi sa charge. On comprend aussi pourquoi par exemple le torero joint les pieds à la cape dès que le toro a tendance à serrer et à venir sur lui. Il joint ses pieds pour le faire passer un peu plus loin de lui. Cela me permet aussi de mesurer que le public est souvent injuste avec les toreros des corridas dures même dans des arènes toristes comme Céret ou Saint-Martin-de-Crau. On leur demande de toréer des toros durs comme des toros qui ont de la noblesse et de la fixité qui permettent de se confier. S’ils ne le font pas, ils sont sifflés et ne coupent pas d’oreilles. Ça me permet de voir leur héroïsme. Beaucoup d’aficionados avertis ne comprennent pas le comportement du toros et pourquoi le torero l’a toréé de cette façon. J’aime les deux versions toreriste et toriste. Le fait d’être aussi en contre-piste à Nîmes me permet aussi de voir les choses différemment. Je me souviens avoir senti la peur viscérale chez Espla à Nîmes quand il a planté une paire de banderilles entre le toro et les planches (por dentro) dans un espace réduit. Quand il s’est engagé, le toro a accéléré. En une fraction de seconde, il a lui aussi accéléré. Il n’y avait de place pour l’hésitation. S’il avait douté, le toro l’aurait cloué aux planches. Il est sorti livide, je l’ai vu dans ses yeux quand nos regards se sont croisés. Personne ne l’a remarqué car immédiatement il a pris la paire de banderilles suivante. Plus c’est simple et plus ça paraît facile, plus il y a du travail et de l’expérience derrière. » Article de Christophe De Vos – MARS 2020

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(dj)

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